Des enjeux acoustiques de la crise sanitaire
L’impact psychologique de l’épidémie de Sras Covid 19 a suscité un débat sur la nécessité de la généralisation du télétravail.
Depuis plusieurs années, la multiplication des espaces ouverts, autrement appelés espaces « collaboratifs » dans les bureaux collectifs, a créé des problématiques acoustiques nouvelles : la gêne sonore issue de conversations proches, l’augmentation du niveau sonore liée à l’utilisation croissante de casques audio, le manque de maitrise des critères acoustiques dans la conception des bâtiments (bruit de fond des équipements techniques, durée de réverbération, atténuation sonore entre postes de travail, décroissance spatiale, sonorité à la marche, etc.).
La crise sanitaire a mis en avant la nécessité de distanciation physique et de diminution de l’aérosolisation (les discussions de vive voix réputées favoriser la propagation des virus, même si cet aspect est sujet à controverse).
D’ores et déjà, nous pouvons écarter, dans les prochains mois, trois scénarii improbables :
Le retour au « bureau individuel » : un rétropédalage, après une métamorphose du tertiaire ces 40 dernières années, nécessiterait des investissements colossaux, et pour finir, contre-productifs (le bureau individuel est, en soi, une forme de télétravail à demeure)
Le retour au « monde d’avant », à savoir un taux d’occupation des espaces ouverts proche de 100%
La généralisation à 100% du télétravail : certaines taches ou fonctions ne permettent pas, de toute évidence, cette option. Par ailleurs, la déshumanisation du travail engendre des conséquences sociales et psychologiques importantes.
Quoiqu’il en soit, une disparition (souhaitable mais incertaine) du virus n’entrainerait pas un retour au « travail à l’ancienne » : par exemple, nous pouvons imaginer la disparition progressive des « grandes réunions présentielles ».
Par ailleurs, la tendance dans les espaces tertiaires de la systématisation des « bulles », c’est à dire des petits espaces (souvent transparents) conçus pour s’isoler acoustiquement des espaces ouverts, nous semble aller dans le bon sens.
Le recours au télétravail peut entrainer, par souci d’économie, une nouvelle rationalisation des espaces : diminution de la taille globale des espaces de bureaux, et parfois -tendance déjà observée dans de nombreux sièges sociaux – disparition du bureau attitré : dans une situation absurde, chacun se rendrait à son travail sans vraiment savoir à l’avance si un poste est disponible.
Aujourd’hui, certains critères acoustiques comme la durée de réverbération, sont largement pris en compte dans la plupart des espaces ouverts, à tel point que les collaborateurs ont tendance à oublier ces matériaux « discrets » : faux plafonds absorbants, panneaux acoustiques muraux, baffles suspendus, bois perforé, etc. : à ce sujet, les normes internationales NFS31-080, et (plus récemment) NFS31-199 ont permis une certaine souplesse dans l’adaptation des traitements acoustiques à l’organisation du travail.
La densité des espaces est aussi devenue, en soi, un critère acoustique : le niveau sonore, en principe, diminuant avec la distance. Une surface minimale de 8m2 par collaborateur est aujourd’hui considérée comme étant satisfaisante.
Enfin, du fait des préoccupations hygiénistes, nous observons ces derniers temps le recours sporadique à de nouveaux « séparateurs » entre bureaux : écran plexiglass, ou solutions plus précaires.
Il est utile de rappeler que l’intérêt des « cloisonnettes » réside dans l’interruption du champ sonore direct. Ce dernier, par opposition au champ diffus, est réputé plus gênant : dans certaines limites toutefois, car la distribution statistique du bruit, au delà de certains niveaux sonores et taux d’occupation, peut aboutir aussi à un « effet cocktail » du champ diffus : chacun élève la voix pour se faire entendre dans le brouhaha ambiant.
Cependant, les « cloisonnettes » ou séparateurs de bureaux, doivent respecter certaines conditions : des dimensions (hauteur, largeur) permettant de manière effective la limitation du champ sonore direct. De ce point de vue, les cloisonnettes à hauteur réglable et comportant des faces « absorbantes » seraient à privilégier.
La crise sanitaire a révélé à travers la généralisation des réunions sur plateformes internet (skype, team, facetime, zoom, etc.) des problèmes particulièrement handicapant. Certaines zones géographiques ne disposent pas d’un débit internet suffisant, ce qui entraine un rétrécissement de la bande passante audio, des coupures, et, par voie de conséquence, une mauvaise intelligibilité.
Ironie du sort, nous constatons que la généralisation de la VOIP a entrainé (progrès technologique oblige…) globalement une baisse de la qualité sonore des communications téléphoniques (par comparaison avec les lignes téléphoniques analogiques et aux lignes « numeris » qui disposaient d’une excellente bande passante).
Dans l’approche acoustique des espaces de travail, la qualité des matériels électroacoustiques n’est pas suffisamment prise en compte : les casques audios de mauvaise qualité incitent les collaborateurs à parler plus fort, pouvant entrainer de la gêne sonore autour d’eux. Les matériels de télé/visioconférence (pieuvres téléphoniques, microphones, haut-parleurs), leurs emplacements, leur qualité et efficacité, devraient être étudiés en même temps que les critères acoustiques généraux.
Le bruit des équipements techniques (climatisation, ventilation) doit faire l’objet d’une attention particulière. Un bruit harmonieux de ventilation peut masquer les conversations et favoriser la concentration au travail. A l’opposé, un bruit de fond trop faible, ou le dysfonctionnement d’une climatisation aboutit au résultat inverse. Les dispositifs dits de « masquage sonore » ont, par ailleurs, fait l’objet de nombreuses critiques ces dernières années.
La crise sanitaire a également ressuscité l’intérêt pour des équipements réputés obsolètes dans les halls d’accueil : l’hygiaphone (membrane vibrante amplifiant le son et apportant le confort de communication attendu par les agents tout en les protégeant contre la projection de microbes), breveté en 1945 par la SNCF, avait permis de réduire l’impact dans les guichets de l’épidémie de grippe. Aujourd’hui, ces dispositifs sont souvent remplacés par des systèmes d’interphonie et boucles magnétiques.
Les bureaux d’étude acoustique, dans le cadre de leur mission de conseil, disposent des outils de calculs, simulation et modélisation, pour faciliter au cas par cas, la transition des nouveaux modes de travail dans les espaces tertiaires, en prenant en compte les besoins spécifiques des entreprises.
En effet, toute solution ou matériau acoustique ne peut en aucun cas être généralisé ni transposable à toutes les situations. Seule l’étude acoustique exhaustive peut répondre à l’ensemble des préoccupations : la crise du Covid nous montre que l’acoustique se situe au confluent de nombreux enjeux parmi lesquels : l’ergonomie des postes de travail, l’efficacité des équipements techniques, la rénovation intelligente et l’amélioration des performances thermiques des bâtiments.